Ca faisait longtemps que je n'avais pas parlé de mon travail.
A la conférence de rédaction, une fois que le rédacteur en chef a fait le tour de son journal il me demande si je n'ai pas quelque chose à rajouter. Pas grand chose ce samedi, mis à part l'écroulement d'un immeuble dans un quartier en développement de Nairobi. Il y a trois morts, mais le bilan risque de changer, en effet, entre l'heure de la conf et maintenant il est monté à 10. La comptabilité des victimes est importante, c'est ce nombre qui va déterminer l'importance d'un évènement ou pas, oui c'est macabre mais c'est comme ça. Mais parfois il suffit d'un seul mort célèbre pour que la "une" soit bouleversée. La preuve récemment avec David Bowie et Prince.
Rien de bien normal.
Et bien, cet immeuble de Nairobi, malgré les morts, ça n'intéresse personne. D'ailleurs moi, pour en parler, j'ai utilisé l'expression "drame de la misère ordinaire". Ce matin je n'avais pas d'éléments d'analyse. Je ne sais pas exactement ce qui a provoqué cet éboulement. Les images sont impressionnantes. C'est arrivé de nuit. Les secours ont eu bcp de mal à dégager les victimes et aujourd'hui vers midi on a commencé à évacuer les immeubles voisins. Voir les habitants faire passer armoires à glaces et canapés de style anglais par les escaliers extérieurs ainsi que femmes et enfants était assez émouvant. Est-ce un immeuble construit à bas coût ? L'éboulement est-il du à une mal façon ? Chose si fréquente dans mon pays, où des autouroutes toutes neuves, construites en Sicile à coup de subventions et de milliards (et de millions de pot de vin) s'effondrent aux premières pluies violentes de printemps. C'est probablement ce qui s'est passé à Nairobi. Pour l'instant, le mot qui m'est spontanément venu à l'esprit est "drame de la misère ordinaire" et il y a un jugement de valeur qui a irrité légèrement le directeur adjoint, qui se doit d'être cynique. Il a murmuré dans sa barbe une remarque du style bon ben on passe à autre chose.
Au même moment, le président Kenyatta avait réuni d'autres chefs d'état pour faire une action d'éclat contre le trafic d'ivoire. Des tonnes de défenses d'éléphant seront brûlées sur un bûcher symbolique à 15 heures heure locale (17 heures, heures de Paris). C'est impossible de brûler de l'ivoire, donc l'opération a été minutieusement organisée par un spécialiste. Il faudra que lorsque la flamme soit allumée, les 11 pyramides de défenses artistiquement empilées s'enflamment et noircissent dans le feu purificateur. Ca on sait faire. Des immeubles de qualité pour des familles modestes, un peu moins. Les deux évènements sont très différents. A mes yeux ils sont tout aussi importants. Dans la hierarchie des news internationales de ma chaîne, ils ne le sont pas.
Photo AP.
De fortes pluies ont provoqué des inondations dans le pays et d'autres immeubles se sont écroulés. Comme me l'explique la BBC, les défauts de construction sont assez communs au Kenya. Une enquête l'année dernière a listé que la moitié des habitations de la capitale sont inhabitables. La demande énorme a fait que de nombreux promoteurs construisent sans respecter les règles afin d'économiser les coûts et d'augmenter leurs profits.
"Poor building standards are a fact of life in Kenya, correspondents say. A survey carried out last year found that more than half the buildings in the capital were unfit for habitation.
The high demand for housing in Nairobi has led to some property developers bypassing building regulations to reduce costs and increase profits.
President Uhuru Kenyatta last year ordered an audit of all the buildings in the country after a spate of collapses."
Finalement, mon intuition de fille née de l'autre côté des Alpes, dans ce qu'on appelle encore le Mezzogiorno, ne m'avait pas trompée. Tutto il monde è paese, comme dirait ma mère, que l'on pourrait traduire, il se passe la même chose partout dans le monde.