Ma mère m'appelle pour me faire part d'une invitation à un concert d'un jeune ensemble baroque "L'Escadron volant de la Reine" dont elle connaît deux des solistes pour leur avoir enseigné l'Italien au conservatoire. Ce concert avait lieu à la Fondation Singer Polignac, dans l'hôtel particulier construit par Winnaretta Singer au début du siècle, situé avenue Georges Mandel pas loin du Trocadero.
C'était le jeudi 9 octobre.
Je ne connaissais pas la princesse Polignac. Cette mécène éclairée a dominé la scène artistique française. Héritière Singer (oui, les fameuses machines à coudre), elle est éduquée par sa mère française qui la destine à devenir peintre. Elle a du talent, mais c'est la musique qu'elle préfère. Bref. Plusieurs livres pourraient raconter sa vie et surtout l'influence qu'elle a eu sur la culture en France entre 1888 date à laquelle elle commence à recevoir Vincent d'Indy, Emmanuel Chabrier, Ernest Chausson et Gabriel Fauré dans son premier hôtel Avenue Henri Martin, jusqu'à sa mort en 1943 en Angleterre. Son mécénat continue aujourd'hui dans son hôtel particulier qui abrite sa fondation. De nombreux jeunes artistes y sont en résidence, perpétuant aujourd'hui l'esprit de soutien à la création de la princesse.
Le concert auquel j'ai assisté se déroulait dans le salon de musique conçu par la princesse pour ce genre de manifestation. C'est inoui de se dire qu'en 1900, un particulier pouvait réunir un aussi grand nombre de personnes pour la création d'une oeuvre musicale. Une partie des invités était assis sur des chaises style Louis XVI les autres sur des chaises pliantes mais version chic, velours et tubes en bronze doré. Les dames élégantes qui avaient distribué les billets ont eu un peu de mal à faire asseoir tout le monde, il devait y avoir au moins 120 personnes.
Au programme : des oeuvres instrumentales italiennes et la cantate de Bach sur le thème du Stabat Mater de Pergolese. Un moment de très grande qualité.
A l'issue de l'audition, le public est invité dans la grande salle à manger attenante à un rafraichissement ... Oui, un rafraichissement servi par un majordome en veste et gants blanc. Bourgognes blanc et rouge. Canapés salés et sucrés. Vieilles dames copie conforme de Liliane Betancourt mais en forme, parfaitement coiffées, en tailleur crème et blouse en soie. Sacs Chanels. Colliers de perle et légions d'honneur. Vieux monsieurs impeccables portant ces dames par le bras vers le buffet. Et les jeunes amis des musiciens, venus en nombre les applaudir. Les tailleurs Chanel côtoyaient les mini jupes et jean slim d'adorables jeunes filles et jeunes hommes.
En regardant les panneaux en boiserie dorée, les miroirs, les tapisseries des Gobelins je me croyais transportée dans une autre époque, celle des coktails des robes du musée Galliera.
Un très beau tableau est accroché dans l'escalier d'honneur, il représente une femme dans l'entrebaillement d'une porte donnant sur un jardin avec une gerbe de fleurs qu'elle vient de cueillir. L'inscription m'informe qu'il s'agit d'un autoportrait dont j'ai en vain cherché une reproduction. Une fois sur le trottoir de l'avenue Georges Mandel je pensais à cette personne hors normes dont l'action perdure encore aujourd'hui. D'une façon discrète certes, mais efficace. J'ai pénétré un bref instant dans ce monde de privélégiés. Ce monde, où l'on se change pour aller à un concert en fin d'après-midi.
Mais la spontanéité et la simplicité des musiciens et chanteuses, rendait la chose actuelle et vivante.
Ci dessous, la princesse Winnaretta de Polignac photographiée par Man Ray (collections du Centre Pompidou.)
http://www.singer-polignac.org