J'étais en Bourgogne ce week-end, ce qui n'a aucun intérêt, à part le fait que j'ai fait un détour pour aller revoir le château de Bussy Rabutin.
Il y a trente cinq ans, c'était beaucoup plus rustique. Le parc n'avait pas été restauré. Le gardien des monuments historiques avait une veste d'uniforme bleu marine un peu élimée avec écrit MH sur les revers. Il avait bien arrosé son déjeuner ce qui rendait encore plus pittoresque la visite.
Aujourd'hui, il y a une magnifique boutique avec un choix extensif de livres sur le château, sur Bussy Rabutin, sur son illlustre cousine la Marquise de Sévigné et plein d'autres choses. Le guide est un grand (2 mètres) jeune homme se prénommant Florian, fort compétent et sympatique qui gère bien son public.
Bref. Je redécouvre avec ravissement un joyau de la province française et le personnage pittoresque qui a habité ce château. Roger de Bussy Rabutin se retrouva officier du Roy à 16 ans et il participa à la guerre de Trente ans. Mais il est surtout connu pour son libertinage et son esprit caustique qui lui valurent d'être embastillé et ensuite exilé sur ses terres pendant 17 ans.
Si vous voulez en savoir plus : http://www.bussy-rabutin.com/
Moi ce qui m'intéresse dans l'histoire de Bussy Rabutin c'est le motif de son exil.
Déjà en 1641, à 24 ans, il est envoyé à la Bastille par Richelieu pour une sombre histoire de contrebande de sel de la part de ses soldats, trafic qu'il aurait couvert. Il y reste quelque mois, le temps pour lui de faire la connaissance de Bassompierre, autre personnage illustre. Deux ans plus tard, il se fait à nouveau remarquer alors qu'il sert sous le commandement du Grand Condé en Catalogne, car il participe à ce qui fut appelé la débauche de Lerida (une énorme orgie).
Ayant récemment perdu sa jeune femme (épousée en 1643) et étant sans le sou, il tente d'enlever une riche veuve (qui avait hérité de son père 1 200 000 livres) de 20 ans, madame de Miramion. L'histoire est incroyable, allez voir ici pour en avoir tous les détails, elle vaut le détour :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_de_Miramion
Après ce coup d'éclat (Madame de Miramion abandonna les poursuites au bout de 2 ans et lui pardonna), Bussy Rabutin se consacre à la carrière militaire. Mais en 1659 il fait à nouveau parler de lui
Pendant la semaine sainte, en avril, Vivonne (frère de Mme de Montespan) invita un groupe de gentilhommes parmi lesquels Philippe de Mancini, neveu de Mazarin, le Comte de Guiche, l'abbé Etienne le Camus, aumônier du roi, et Bussy Rabutin pour faire Carême à leur manière... Rien que du beau monde. Ce fut une débauche scandaleuse. Mazarin exila son neveu à Brisach et Roger de Rabutin est exilé sur ses terres.
Peu après, il rend visite à sa maîtresse, Mme de Montglas, qui est en convalescence à Lyon (autant dire qu'elle s'ennuie ferme). Bussy raconte dans ses Mémoires : « Pendant ce séjour, je m’amusai à écrire les amours de Mmes d’Olonne et de Châtillon, par complaisance pour Mme de Montglas, qui m’avait témoigné que cela la divertirait ». De retour en Bourgogne, il met en forme l’Histoire d’Ardélise (la comtesse d’Olonne) et l’Histoire d’Angélie et de Ginotic (le duc et la duchesse de Châtillon). S’y ajouteront plus tard La Partie de Roissy, le Portrait de Mme de Cheneville (Mme de Sévigné) et l’Histoire de Bussy et de Bélise (Mme de Montglas), le tout constituant l’Histoire amoureuse des Gaules.
Au fait tout cela, c'est de la langue de pute extrêmement élégante et bien écrite. D'une façon plus subtile, c'est du même niveau que la pauvre collégienne qui se retrouve filmée avec un téléphone portable dans une situation délicate et diffusée urbi et orbi via un réseau social. Bussy Rabutin aurait adoré internet. Mais comme pour internet, vous allez voir que l'histoire lui échappe.
Bref, Bussy n’entendait pas diffuser ce roman satirique mais le réserver à ses amis pour les distraire et briller par ses talents de plume. Or, il commet l'erreur de prêter son manuscrit à la marquise de La Baume qui se trouvait enfermée dans un couvent (son mari l'avait fait enfermer à cause de son inconduite) et qui s'ennuie ferme. Au lieu de le lui rendre au bout de 24 heures, elle le garde deux jours. A son insu, elle fait une copie du manuscrit et le divulgue. Là j'ai l'impression de vivre en version manuscrite et XVIIème, le forwardage d'un mail que l'on pensait personnel.
Les conséquences sont catastrophiques car la satire n'est pas tendre."Il a le trait vif, impitoyable. Ceux qui se reconnaissent, comme Mme de Sévigné, se fâchent. Les lecteurs s’en réjouissent." comme l'explique si bien M. Daniel Henri Vincent spécialiste de Bussy Rabutin.
Malgré ses dénégations, Bussy Rabutin ne parvient pas à se disculper aux yeux de Louis XIV qui l'envoie à nouveau à la Bastille et ensuite le contraint à l'exil dans ses terres de Bourgogne.
Les conséquences sont lourdes, quand on pense qu'il ne s'agit que de vulgaires histoires de cul (je schématise), mais cela ne vous rapelle-t-il pas quelque chose ? Cette photo d'un couple célèbre qui valu au patron de presse non pas la Bastille (heureusement ça n'existe plus de nos jours) mais l'équivalent d'une lettre de cachet : sa démission ? Comme hier, le pouvoir n'aime pas qu'on le fragilise de cette façon. Toutes ces histoires savoureuses que racontait avec délices Bussy Rabutin n'étaient pas bonnes à être répétées. D'où son enterrement en Bourgogne par ordre du monarque.
On pourrait penser que tout ça va le calmer. Et bien non! Dans une tour du château, son bureau, Rabutin a placé toute une série de portraits de femmes illustres de son temps, "mes belles amies" comme il l'explique dans ses mémoires. Il a placé sous les tableaux des inscriptions qui donnent des indications sur leur conduite, laquelle est rarement irréprochable.
Exemple de sa prose :Isabelle Angélique de Monmorancy,
"fille de Bouteville, duchesse de Chatillon puis princesse de Meclebourg,
à laquelle on ne pouvait refuser ny sa bource ny son cœur
mais qui ne faisoit pas cas de la bagatelle."
Toutes sont gratifiées de ce genre de description. Quand elles l'ont su, elles ont cessé d'envoyer leurs portraits.
On imagine combien un homme de ce style a du s'ennuyer loin des affaires et de la cour.
Ce qui m'interroge, c'est le fait que dans un monde sans communications à part la poste à cheval, des personnages pouvaient si rapidement, alors qu'ils se trouvent à des distances considérables, se transmettre des nouvelles si vite et les répandre également aussi vite. Voyez la correspondance assidue et si riche entre la Marquise de Sévigné et sa fille Françoise, Comtesse de Grignan. L'une résidant en Bretagne l'autre près d'Aix en Provence, elles s'écrivaient deux à trois lettres par semaine. Bussy conserva les lettres que lui écrivait sa cousine.
Rabutin ne pouvait s'empêcher de faire de bons mots, de raconter de bonnes histoires. La preuve, elles sont parvenues jusqu'à nous. Mais au bout de 17 ans passés au fond de la Bourgogne, quand il est finalement invité au Lever du Roi (distinction suprême) plus personne ne le remarque à Versailles. Il est d'un autre temps. La mort dans l'âme, il rentre dans son château.
Finalement, quand je tombe sur des romans qui ont fait la une de l'actualité sur les tables d'un vide-grenier je souris. Que retiendrons-nous du règne de François Mitterrand, peut-être un livre d'une journaliste. De la Sarkozie il est encore trop tôt pour en parler, il est clair que plus personne ne se souvirendra de Mme Dati et de ses tailleurs Dior.
Mais les lettres de la Maquise de Sévigné, nous les lisons encore; et les savoureux Mémoires de son cousin, Roger de Bussy Rabutin, ont traversé les siècles.